Kenza

5 novembre 2013

- Seau d'eau ?

-Euh, non. J'ai pas de seau d'eau.

-Alors, il faut le louer. 20 dirhams. La cuillère?

-J'ai pas.

-Il faut la louer aussi. 15 dirhams.

-Ok.

- Le massage? Vous voulez le massage? Alors c'est 50 dirhams, plus 15 dirhams pour le savon et 20 dirhams pour le gant.

- Ok, 120 dirhams donc.

Et on m'avait dit que ça coûtait 10 dirhams.

Après avoir baragouiné en darija avec la grosse dame au foulard mauve, j'apprends qu'il va falloir que je laisse mes affaires sur le côté. Toutes mes affaires. Je balaie la pièce du regard. Plein de femmes à moitié nues sont là et me regardent, moi, la seule blanche qui freake ici. Je suis un mister freeze, j'attends que le temps passe, mais la bonne femme au foulard mauve pointe mon sac. Une fille passe devant moi et se déshabille, lance ses choses sur le côté et entre dans le hammam.

Respiration. Tu peux le faire, t'es capable d'être toute nue, ces femmes là s'en foutent de toi, va rien se passer. J'enlève tranquillement les couches. Une à une, je les dépose sur mon sac. Doucement, doucement. Ça sert à rien être pudique ici.

Une vieille dame à deux canines me demande si je veux être frottée. J'essaie de lui dire que j'ai déjà quelqu'un, mais je laisse faire: elle ne comprend visiblement rien. La bonne femme en mauve et elle s'obstinent pendant que j'attends avec mes petites culottes.

Il faut vivre l'aventure au complet, me dis-je, trop tard pour reculer. La femme à deux canines a gagné. Elle se déshabille, me donne deux seaux et me pousse à l'intérieur. Je tente une dernier regard vers ma serviette que j'aurais voulu apporter avec moi. Dans la pièce, une trentaine de femmes accroupies en petites culottes, certaines assises. C'est quoi ton nom?

Laurence et toi? Kenza. Ou la femme aux deux canines.

Je suis une poupée. Je réponds physiquement à ces indications, mais je ne comprends pas ce qui va se passer. Personne d'autre se fait scrubber ou presque. À côté de moi, la championne du monde de lutte et sa fille de deux ans. Elle la prend par le bras et lui frotte le visage. La fillette pleure, elle supplie sa maman d'arrêter, se débat et tente de se sauver. La lutteuse ne bronche pas, elle continue son travail comme si de rien n'était.

J'espère de tout coeur que ça va être plus agréable que pour elle. J'adopte une position corporelle pour montrer que je suis confortable. Je suis louche, c'est louche. Mon corps est crispé comme du bacon trop cuit, je vais casser en deux si ça continue. Kenza revient deux seaux plein à craquer d'eau chaude.

Et elle commence.

Je vois la fillette qui crie.

Moi aussi, je veux crier. Juste deux secondes, le temps de décrocher de mon corps et de partir en transe sur de la musique New age.

J'ai de la laine d'acier sur le corps. Ça brûle, ça pique, c'est désagréable.

Kenza me demande si je suis mariée. Oui. Pas de bébé, non. Elle me dit qu'elle a quatre enfants, j'essaie de continuer la conversation, mais tout ce que je pense c'est que je vais saigner ma vie en sortant. Puis, je vois les couches de peaux mortes tomber. Ça fait mal, mais ça fonctionne.

Je sors de là, presque traumatisée, presque saignante, mais très relax. Après une demie heure dehors, je me sens légère, comme si j'avais perdue la moitié de ma peau au hammam et que je pouvais enfin vraiment respirer.

Je vais y retourner, c'est sûr.

Posté par Lilou Manitou à 22:28 - Commentaires […] - Permalien [#]